J’avais 8 ans lorsque j’ai vendu mes premiers dessins. J’échangeais mes petits lapins colorés contre 25 sous. J’ai toujours eu besoin de créer et de rêver à des images pour me sentir bien. Je l’ai fait pour l’industrie de la mode — mailles, jacquards, broderies pour différentes collections, dont la mienne — avant de multiplier les reproductions de tableaux pour les amis. Je me souviens de ma toute première, une toile de Picasso. Une étonnante réussite qui me mena à en produire d’autres, mais toujours en dilettante. La peinture demeurait pour moi jusque là un passe-temps.
La première toile que j’ai pris l’initiative de créer a été motivée par le visage d’un homme dont j’aimais l’expression. Ses traits exprimaient beaucoup de vécu, de profondeur. J’ai repris le pinceau, j’ai peint avec justesse sa tristesse, mais j’ai compris que côtoyer une œuvre triste, c’est comme vivre avec une personne dépressive. Ça nous tire vers le bas.
Pendant la pandémie, le commerce de biens essentiels de mon conjoint a vu ses employés extrêmement sollicités, à bout de souffle. C’était comme un Black Friday permanent. Dans la salle des employés éclairée au néon, chacun portait son masque, se tenait à distance. Le climat était morose. Pour apporter un peu de joie dans cet espace de détente, j’ai entrepris de peindre de grandes œuvres colorées et joyeuses qui ont contribué à dissiper quelques nuages dans cet environnement de travail.
Avec ces tableaux s’est réveillée la passion qui sommeillait en moi. Je peins maintenant sur une base régulière dans mon atelier de Verdun. Je développe en séries. C’est ce qui m’inspire le plus. Même si je démarre une nouvelle toile avec une idée assez précise, mes premières actions sont très gestuelles et intuitives. C’est progressivement que je migre vers le détail. Ma technique est généralement mixte. Je travaille avec une base à l’acrylique souvent rehaussée d’huile en bâtons que je manipule avec les doigts. J’aime aussi utiliser des feuilles d’or et de la peinture aérosol pour le relief qu’elles apportent.
Une œuvre se bâtit, elle prend doucement vie. Quand elle arrive à terme, qu’elle devient autonome, c’est pour moi très clair, je dépose mes pinceaux. Je m’autorise tous les mélanges et les mets au service de la magie qui se construit, des sourires que mes interprétations génèrent. La toile va ensuite tisser d’autres liens émotionnels avec celui ou celle qui l’a choisie, qui l’a faite sienne.